• Mangez vous qui êtes privée ...oui mais !


                                          En hiver, année 1943...

                                          Alors que nous manquions de tout, même encore plus que ça, ma mère avait reçu une lettre des cultivateurs de cette petite commune de l'Oise où mon frère avait été tué en 1940 et où se trouvait sa tombe. Ces gens, si braves qui avaient entretenu cette tombe qui semblait abandonnée alors que mes parents n'avaient pas été prévenus du décès.... Ils avaient donc adopté ce jeune officier et ensuite sa famille à partir de 1942. Et sachant qu'en région parisienne la nourriture se faisait rare, ils nous prévenaient  qu'ayant tué un cochon ils nous invitaient à aller manger une bonne soupe au lard et qu'en plus, nous ne reviendrons pas les mains vides. Nous voici donc arrivées à Maignelay où nous voyons une grande table de ferme où le couvert était mis et où il y avait une bonne odeur de potée aux choux ! Hum, nous n'étions plus habituées à ça...Ma mère, Lorraine, sentait  tous ses souvenirs de jeunesse revenir à son esprit  et toutes les deux d'avance nous avions faim ! Un repas avec viande et sans tickets, "pensez voire" comme disait ma grand-mère Lorraine ! Vite, vite, installons-nous !

                                           Avant la guerre, j'étais très difficile et en particulier, je n'aimais pas ce qui était gras, mais mes parents se refusaient à entendre dire "je n'aime pas" et il fallait, de gré ou de force, manger ce qu'on nous donnait. Mais ce jour là, je ne savais pas que dans la potée, il y avait du lard gras et voilà la fermière qui me sert de bons légumes (ça j'aimais) et qui ajoute dans mon assiette un morceau de lard qui m'a semblé énorme...Ma mère avait pris un air mi-figue, mi-raisin et avait un sourire un brin amusé ! Elle, elle aimait beaucoup. Je n'ai rien osé dire tout en me demandant comment faire pour ne plus voir ce morceau de gras qui "tremblottait" dans mon assiette ...Une seule solution, l'avaler au plus vite pour le faire disparaître et me précipiter ensuite sur les légumes pour faire passer ce goût. C'était pas la bonne solution !...La fermière, voyant que j'ingurgitais à une vitesse grand V, dit à ma mère : "la pauvre, elle avait faim elle est tellement privée". Et pan, avant que j'aie le temps de répondre, vlan, un autre morceau de lard atterrit dans l'assiette...Tout était à refaire et avec le sourire encore, et en m'excusant presque de manger d'une manière aussi gloutonne ! Ce morceau de lard, je m'en souviens encore...Tant de gens à cette époque auraient payé très cher pour en avoir ne serait-ce qu'un petit bout...Et moi, j'aurais bien payé pour l'envoyer discrètement à la poubelle...Ce qui prouve qu'on n'est jamais content ! Et ce n'était pourtant pas le moment de faire la fine bouche et de laisser quelque chose sur "le coin" de son assiette, d'autant plus que mon père nous avait appris qu'une assiette étant ronde n'avait pas de coins...C'était sans discussion aucune et on ne laissait jamais rien !

                                               Cette soupe au lard, faite uniquement avec des bonnes choses, représentait un repas toujours plus appétissant que les" ersatz "qu'on nous distribuait avec parcimonie et dont j'essaie encore après tant d'années de savoir à quoi ils pouvaient correspondre....

                                               Et ça m'a servi de leçon, petit à petit, je suis devenue moins difficile et prête à manger, même à chaque repas, une bonne soupe au lard ! Parce que le ravitaillement lui, ne s'était pas amélioré !

                                               
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  • Commentaires

    1
    Lundi 12 Janvier 2009 à 10:27
    Cela me rappelle, durant ma jeunesse, j'avais fait les vendanges en Allemagne, les repas se prenaient avec tous les vendangeurs et il y avait une dame, qui avait vécu pendant la guerre, qui ne supportait pas que l'on puisse gaspiller la nourriture et finissait les assiettes, cela allait jusqu'à la viande qui restait sur un os !
    Bon lundi
     
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